Ça fait déjà un an. Un an que j’ai reçu l’appel de mon frère ce vendredi matin, 3ème semaine du confinement, toute seule isolée dans mon appartement de Toronto. Les yeux à peine ouvert dans mon lit, le coeur lourd. « Elle est partie ». La veille tu m’avais prévenu que son état c’était soudainement dégradé. Ne pas avoir de compagnie depuis plus de 3 semaines, de pas sentir l’amour de ses proches au quotidien. Se retrouver seule isolée dans un Ephad alors que le monde faisait face à une pandémie mondiale. Ça été fatal. Être le témoin d’Alzheimer est tellement traumatisant.
J’ai pu te retrouver quelques mois plus tard. Manger un pain au chocolat et boire un oasis tropical assise à tes côtés. A te raconter mon année. Te parler de ma vie à 7,000kms de toi, te parler de tous mes projets, te parler de celui qui me fait rire au quotidien et que j’aurais tellement aimé que tu rencontres. Mais crois moi. Il entend parler de toi souvent, je ne loupe pas une occasion de partager ce que tu m’as appris et mes souvenirs à tes côtés. Mais tu sais même si ça fait un an sur le papier que tu es partie, Alzheimer t’avais pris à nous bien avant ça. Et Mamie ça j’ai l’impression qu’on en parle pas assez souvent et j’aimerai que notre histoire aide d’autres personnes à comprendre et affronter cette horrible maladie. Cette maladie qui dévore tes souvenirs et nous vole notre histoire.
Alors déjà la maladie d’Alzheimer c’est quoi?
« La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative chronique qui détruit les cellules cérébrales, ce qui provoque, avec le temps, une détérioration de la mémoire et des capacités de réflexion. La maladie d’Alzheimer ne fait pas partie du processus normal de vieillissement et elle est irréversible. » d’après le site www.alzheimer.ca, plus d’infos ici.
Ma grand mère décrivait cette maladie comme si « les cases dans sa tête se vidaient ».
Les expériences sont différentes
Il faut savoir qu’il y a différentes façons de développer et vivre la maladie. Que notre vérité ne sera pas celle de tout le monde. Aujourd’hui, un an plus tard, j’ai envie de vous parler du développement de la maladie du point de vue d’un proche, comment on vit en étant le témoin d’Alzheimer.
Les premières années la maladie ne fait même pas partie de votre vocabulaire, vous en avez entendu parler bien sûr mais ça n’arrive qu’aux autres non ? Impossible que ça nous arrive à nous. Au début on dit juste que c’est un oubli dû à l’âge. Puis on espère que ça va aller mieux.
On a mis un mot sur la maladie et on a commencé à en parler quand je vivais chez mes grands parents pour économiser pour partir au Canada. Pendant longtemps je n’ai pas pu dire le mot. J’imagine que ça rendait les choses trop réelles et irréversibles. Alors on disait juste que Mamie était fatiguée. Je me souviens en avoir parlé avec une de mes clientes qui m’avait dit que sa grand mère avait été malade 10 ans et que les dernières années elle ne la reconnaissait même plus. Ça m’a brisé le coeur mais secrètement je me disais: mais c’est chez les autres, nous ça sera différent. Parce que c’est nous. Puis on pense aussi que peut être on aura pas le temps d’en arriver là.
Le début de la maladie d’Alzheimer
Au début de la maladie les oublis sont légers mais il y a l’arrivée de l’agressivité et la disparition progressive de filtres. Je n’étais pas préparée à entendre certains réflexions de la bouche de ma douce grand-mère. Mais ce n’était pas vraiment elle. Mettez une barrière entre ce que vous pouvez entendre et vos sentiments. Ce n’est pas la personne que vous avez connu qui parle mais la maladie qui prend le dessus.
Petit à petit les conversations sont de plus en plus difficiles à tenir, la mémoire à court terme est affectée mais la personne que vous aimez est toujours là et se reconnecte de temps en temps à la réalité et se rend compte qu’elle perd des brides d’histoires. Elle se rend compte de sa nouvelle réalité. Et ça fait mal.
Les relations pendant la maladie d’Alzheimer
J’ai passé des heures avec ma grand mère à l’écouter me raconter les histoires du temps d’avant. Parce que sa mémoire sur son passé était intacte. Je lui ai posé des questions sur la vie avant moi. Avant ses enfants. Mon seul regret: ne pas avoir pris la mesure de la maladie et ne pas avoir enregistré ce qu’elle me racontait. Un autre conseil si vous faites face à cette maladie, enregistrez, écrivez, prenez des photos, filmez des vidéos. Créez vous des souvenirs qu’aucune malade ne pourra vous prendre.
En repartant vivre à l’étranger en 2017, plus de 3 ans après la prise de conscience générale j’ai dû accepter qu’à chaque retour en France je ne la retrouverai pas comme avant. Alors peut être que certains se diront: mais pourquoi ne pas être restée en France. Je n’ai pas d’explication claire et précise à part qu’elle m’a toujours encouragé à vivre ma vie.
Les premières années malgré les pertes de mémoire nous avons eu de superbes conversations, je dirais même que la maladie m’a permis de commencer des conversations que je n’aurai jamais imaginé avoir. Parce qu’on sait que le temps est compté. Qu’on ne veut pas prendre le risque de ne pas pouvoir l’occasion d’avoir ces conversations. C’est marrant parce que dans une prochaine vidéo YouTube que j’ai filmé il y a 2 jours je parle de 5 choses que j’ai apprise depuis que je vis au Canada, l’une d’elle et d’avoir maintenant une meilleure communication avec mes proches. En écrivant je me rends compte que ce n’est pas seulement le Canada mais aussi la maladie qui m’a appris ça.
Les changements physiques
A tous ces changements vont s’ajouter les changements physiques parce que la personne que vous aimez s’affaiblit. C’est tellement difficile parce qu’on veut conserver tout ce qui nous est familier et nous rapproche de notre personne le plus longtemps possible. On veut s’attacher coûte que coûte à la personne qu’on a connu. Il faut s’habituer à ces changements et s’adapter.
Quelques années plus tard ma grand mère peinait vraiment à se déplacer, avant d’arriver au point où elle ne pouvait plus bouger. Comme pour beaucoup de maladies c’est difficile de voir la personne qu’on n’aime ne plus être elle même. J’ai personnellement trouvé ça très difficile. Je me rappelle notre conversation au sujet de son arrêt de coloration. J’avais du mal à comprnedre. Je ne voulais pas voir ses cheveux gris prendre le dessus. Mais elle était épuisée et c’était son choix. Et une des dernières choses qu’elle pouvait choisir de faire. Ou non.
Les leçons
La maladie a ce côté horrible de se voir partir à petits feux mais nous donne une chance inouïe de se dire les choses. J’ai appris qu’il n’y avait pas de raison valable pour ne pas dire aux gens qu’on aime qu’on les aime. J’ai appris la valeur des mots et l’importance de les partager. J’ai appris qu’on vivait tous la maladie et le deuil différemment. J’ai appris à chérir les moments simples comme la dernière fois que je l’ai vu sur son lit d’hôpital. Ces 5 minutes où ses yeux ont brillé en me voyant, les mots avaient du mal à être articulés mais l’amour était palpable et je savais qu’elle était heureuse de me revoir. Je l’ai remercié pour tout ce qu’elle m’a donné. Pour ce que j’ai d’elle en moi.
Chaque fois que je quittais cette pièce j’étais consciente que c’était peut être notre dernier au revoir. Parce qu’on ne savait jamais quand je serai de retour pour se serrer la main et que les échanges téléphoniques étaient devenus de en plus en plus difficile. Avant on discutait. A la fin tu m’écoutais.
A ma grand mère,
Je n’ai jamais imaginé que je ne pourrais pas être là une dernière fois pour toi et que je devrais vivre ton enterrement sur Zoom sur mon canapé dans mon appartement seule au milieu d’une pandémie mondiale. Avec la maladie on doit penser à ce genre de choses et « prévoir au cas où ». J’avais un plan. Mon plan n’incluait pas la pandémie. Mon plan incluait un saut dans le premier avion.
C’est important de parler de cette maladie qui ne se voit pas physiquement mais qui ronge des familles.
Je suis tellement fière d’avoir grandi à ses côtés. De l’avoir eu 32 ans avec moi. Même si les dernières années nous ont été volées par la maladie. Je sais aussi que ce temps nous a donné des moments merveilleux.
J’espère que si vous aussi vous avez été le témoin d’Alzeimer, mes quelques mots vous auront permis de vous sentir moins seul.